Moissac et les travailleurs saisonniers
- Séverine Laurent
- 8 déc. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 avr.
Le Tarn-et-Garonne a besoin de 25.000 saisonniers par an pour répondre aux besoins de sa première économie, l'agriculture.
A #Moissac, ils sont environ 300 installés à l'année, jusqu'à 1400 en saison pleine. Ces dernières années, ils sont essentiellement venus de Bulgarie. Auparavant ils étaient polonais, marocains, espagnols, italiens...
Sans saisonnier, pas de récolte.
Sans récolte, pas d'agriculteur.
Sans agriculteur...
Il faut savoir que les travailleurs saisonniers débarquent maintenant en famille, papa et maman travaillent aux champs, mamie ou tantie garde les enfants. Ils se regroupent en nombre, dans l'espace public, ils parlent fort, poussent parfois le volume du poste, quelque fois tard dans la soirée.
Alors oui, ces personnes, comme d'autres avant elles, rencontrent des difficultés d'intégration, elles ont des habitudes qui peuvent heurter les habitants. En réponse institutionnelle, pas de dialogue ou de médiation, tolérance zéro, répression.
Pourtant l'on sait bien que le désir d'intégration ne se décrète pas, il se forge à la force du coeur et de l'esprit. Vouloir s'intégrer c'est d'abord aimer la culture de l'autre. Mais sans dialogue, sans lien, sans action de prévention, d'éducation, comment donner l'envie ?
En Tarn et Garonne on ne connaît plus aucune structure, aucun dispositif pouvant faciliter l'intégration des travailleurs saisonniers, que ce soit pour faire l'interface avec les employeurs, avec les administrations, avec les collectivités ou les habitants. À Moissac, les associations ayant eu le toupet de vouloir communiquer avec ces personnes se sont vues privées de subventions municipales.
Ajoutez à ces difficultés l'indignité de nombreux logements des saisonniers dans la cité uvale : beaucoup s'entassent à 10 ou 12 dans les vitrines d'anciens magasins, dans des garages sans fenêtre, dans des sous sols de bâtiments loués par de bons citoyens français. Ces immigrés économiques saisonniers sont presque chanceux comparés à d'autres qui dorment dans leurs voitures sur les berges du Tarn, en haute saison.
La stigmatisation alliée au manque d'accompagnement et de solutions d'encadrement favorisent des dérives, c'est évident : des réseaux parallèles s'organisent pour limiter les achats francais, mais aussi pour "faciliter" les embauches et les accès aux droits, aux logements. Avec une belle commission en contre partie, des intermédiaires se sucrent sur le dos des travailleurs qu'ils dispatchent dans les logements et sur les exploitations. On le sait, mais c'est bien pratique pour certains recruteurs, d'avoir à composer un seul numéro de téléphone à 20h en cas de menace de gel nocturne, pour embaucher 40 travailleurs dans la demi-heure.... Plus efficace que France Travail ! La nature a horreur du vide, si on ne propose rien ou mal, elle s'organise.
Ces pratiques prospèrent parce qu’elles comblent un vide laissé par un manque de coordination entre les besoins agricoles, les institutions et les acteurs locaux. Ce système de servitude est inacceptable.
Avec une meilleure coordination et des dispositifs adaptés, il serait possible de garantir des pratiques transparentes pour tous.
Il faut se dire la vérité, l'importance numéraire de ces travailleurs étrangers concentrée sur des petites zones géographiques crée des tensions, voire même chez certains un sentiment d'insécurité culturelle. Agiter les peurs ne résout rien : cela ne fait qu’aggraver les colères et diviser la communauté. Il faut penser apaisement et solutions durables.
C'est avec de l'encadrement et du dialogue alliés à une stratégie de construction et de répartition des travailleurs au plus proche des exploitations que l'on pourra penser un plus bel avenir.
Les politiques doivent travailler pour impulser le démantèlement de possibles réseaux déviants, pour proposer de vraies solutions d'accueil et d'accès au travail, pour instaurer les conditions de l'apaisement.
Et bien sûr, lorsque la loi est bafouée, que la justice s'applique sans condition, sans discrimination, sans distinction !
En attendant, merci à tous les travailleurs saisonniers, de toutes origines et de tous temps depuis plus de 150 ans, de venir nous aider à faire vivre notre agriculture.

(En illustration, des saisonniers dans les champs moissagais cette année, avec l'aimable autorisation de Iliq)
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